Les urbains se mettent au vert
Dans ville, il y a vie », scande une enseigne de supermarché urbain.
Dans le langage publicitaire, on a le sens de la formule. Et le don,
parfois, de condenser les aspirations d'une société. Le slogan de
Monoprix vise certes à renforcer le positionnement de la marque sur sa
capacité à améliorer la qualité de vie dans les centres urbains, mais
il dénonce aussi, a contrario, ce qui rend la ville invivable. Pour bon
nombre de citadins, il semble en effet qu'il y ait plus de vie à la
campagne qu'à Levallois-Perret. Durant ces cinq dernières années, plus
de deux millions de Français ont quitté la ville pour s'installer dans
des communes de moins de 2 000 habitants. Le cercle devrait encore
s'élargir : 2,4 millions d'autres néo-ruraux sont attendus dans nos
campagnes d'ici à 2008. Un boom démographique sans précédent : au cours
des années quatre-vingt-dix, le mouvement migratoire s'est limité à 247
000 installations, selon l'Insee. L'engouement actuel des citadins pour
la campagne est corroboré par les statistiques des communes rurales,
qui affichent désormais à plus de 60 % un solde migratoire positif. La
Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale
(Datar), pourtant peu prompte à l'emphase, va elle-même jusqu'à parler
de « phénomène de société ».
Une utopie toujours fascinante
Le sujet est devenu un marronnier dans les médias, et ce d'autant qu'il
charrie toutes sortes de fantasmes. Quelle famille n'a pas dans ses
rangs son quota de néoruralité, son couple avec enfants qui part se
mettre au vert, une maison d'hôtes ou une ferme pédagogique en projet ?
Le rêve du retour à la terre continue de fasciner, mais il reste une
utopie. En réalité, si le sujet passionne toujours autant, c'est qu'il
renferme un concentré des crispations contemporaines : pollution,
stress au travail, « malbouffe », perte de sens, déliquescence du lien
social, etc. La ville est devenue synonyme de mal-être. Il suffit, pour
s'en convaincre, de voir les mines défaites des Franciliens dans les
transports en commun. Résultat : 42 % des habitants des villes de plus
de 100 000 habitants espèrent pouvoir un jour s'installer à la campagne
(sondage Ipsos de mai 2003 pour le conseil général du Limousin) et 18 %
ont même déjà planifié le calendrier de leurs démarches pour y parvenir.
On sait tout, ou à peu près, des raisons qui conduisent les citadins à
fuir la ville : recherche d'un meilleur cadre de vie, moins stressant,
moins cher et moins pollué, en même temps qu'un épanouissement dans les
sphères personnelle, familiale et professionnelle. Sur ce dernier
point, au moins, les situations ne sont pas si idéales qu'on veut bien
le dire. L'essor du télétravail ou le développement du réseau TGV ont
certes permis à un certain nombre de candidats au départ de sauter le
pas en continuant à travailler dans les villes. La SNCF comptabilise
ainsi quotidiennement 40 000 « navetteurs » qui prennent le train (hors
TGV), dont 15 000 « grands navetteurs » pour des trajets de plus de 150
km, et 3 500 qui montent dans les rames à grande vitesse pour se rendre
à Paris. Mais l'envolée des dépenses de transport et la fatigue
engendrée par des heures de trajet quotidien ont eu parfois raison des
plus courageux.
D'autres problèmes surgissent. En arrivant en
rase campagne, dans des collectivités de quelques centaines d'âmes,
outre le fait que les prix de l'immobilier ont tendance à flamber, les
néoruraux débarquent avec des normes d'action et de dialogue
typiquement urbaines. Certains d'entre eux déchantent. Et leurs
habitudes de consommation vont jusqu'à procurer des cauchemars aux
ruraux traditionnels. Interrogés sur les risques qui pèsent sur
l'intégration des néoruraux, 63 % des maires redoutent des demandes
excessives en matière d'équipements et de services. Comme le titrait le
numéro d'été de Village magazine, publication voulant valoriser la vie rurale, il faut apprendre à « construire sa vie à la campagne ».
Les difficultés d'adaptation à la vie locale ou d'intégration à sa
population sont la cause de près de la moitié des échecs d'installation.
Consommation peu différente
Cependant, d'une manière générale, on constate assez peu de différence
de consommation entre les citadins, les néoruraux et leurs cousins
restés dans la périphérie des villes, les périurbains. À ceci près que
les deux dernières catégories surconsomment les transports et bricolent
davantage. À ce sujet, chose amusante, ce sont les habitants des villes
qui ont adopté des comportements de consommation appartenant aux
néoruraux. L'explosion des marchés du bricolage et de la décoration et,
plus largement, de l'aménagement de l'habitat est un phénomène des
campagnes que les « bobos » se sont approprié avant d'être à leur tour
imités par le quidam des villes. « Les professionnels du marketing ont les yeux rivés sur les tribus urbaines, constate Luc Wise, directeur du planning stratégique de l'agence V. Mais ils ont tendance à oublier que les dépositaires de la modernité n'habitent pas seulement dans les grandes villes ! »
Alexandre Debouté