Les néoruraux en quête d’un cadre vert
Fantasmer
sur la chlorophylle et les petits oiseaux ne suffit pas pour réussir
son installation à la campagne. Aujourd’hui, les «rurbains» préparent
leur retour à la terre
«Famille cherche à s’installer
à la campagne.» Il y a dix ans, des citadins en mal de verdure
n’hésitaient pas à publier ce genre de petite annonce ou à demander la
liste des «villages abandonnés». «Comme si on les attendait comme les sauveurs du désert
français, sourit Sylvie Le Calvez, directrice de publication de «Village Magazine»(1). Ceux qui partent avec une vision un peu
arriérée du monde rural commencent mal, constate
Vincent Piveteau, conseiller au développement territorial et aux
affaires rurales à la Datar (Délégation à l’Aménagement du Territoire
et à l’Action régionale). Les agriculteurs aussi ont l’ADSL, et ils n’ont pas besoin
des urbains pour leur apprendre à gérer leur entreprise. Je me méfie toujours de
la valeur éternelle accordée aux champs. Elle respire un peu la
condescendance.»
Régis s’est installé depuis quelques années dans une ancienne ferme perchée sur une colline au-dessus du canal du Midi. «Quand j’ai racheté cette ruine, les gens
du coin m’ont tous pris pour un cinglé juste bon à aligner ses billets. Lorsque
qu’ils nous ont vus en baver pour tracer un chemin avec un tracteur et remonter
une maison que tout le village aimait bien, nous avons trouvé notre place.»
L’ancienne ferme transformée en villa-gîte où s’arrêtent toutes les
nationalités a apporté deux emplois au village qui ne fournit plus
assez de croissants l’été. Impliqué dans la vie locale, Régis fait du
vin, tente de nouer des liens entre la coopérative et le marché danois
où il a des contacts.
Les exemples de ce genre se comptent par centaines:
familles au vert qui font revivre des communes en repeuplant l’école,
artiste planqué dont la cote monte à chaque virage de la route qui mène
à son refuge; télétravailleurs, «navetteurs» collectionneurs de
kilomètres entre le bureau la semaine et les champs le week-end... Un
sondage Ipsos réalisé en juin 2003 estime à près de 2 millions le nombre
de ces «néoruraux» ou «rurbains», définis comme habitants de communes
de moins de 2000 âmes depuis moins de cinq ans, et éloignés de plus de
50kilomètres de leur ville d’origine. Une carte établie par la Datar
montre aussi que les zones périurbaines sont passées de 8,5 à
12,5millions d’habitants entre 1990 et 1999 et qu’elles se sont
étendues sur 5000 communes supplémentaires.
Depuis les années
pionnières, l’exode urbain a dépassé l’artisanat et s’organise. En
juin, un train entier est affrété vers la Foire à l’installation de
Limoges. Entre le Salon de l’investisseur et le marché aux bestiaux,
cette vitrine des territoires réunit des départements, des régions, des
mairies qui mettent en avant, qui ses terrains pas chers, qui son
soleil, qui sa campagne à une demi-heure de la ville. La Mayenne occupe
des pages entières de magazine pour attirer sur le modèle «Madame et
les enfants au château, monsieur à Paris au boulot». Le Lot-et-Garonne
a même conçu une publicité pour les cadres des Yvelines et des
Hauts-de-Seine. Bien que presque la moitié des nouveaux installés
affirment encore s’être débrouillés seuls, les structures d’accueil se
mettent doucement en place. «Ce
n’est pas pour emmener plus de gens vers la campagne, justifie Josée De Félice, présidente du collectif Ville-Campagne(2), mais
pour préparer les deux bords à se recevoir et à s’accepter.»
Car, entre l’agri-culteur persuadé qu’il devra museler son coq et les
«ayatollahs» de l’écologie, opposés à toute agriculture extensive, les
relations de voisinage grincent parfois un peu.
A l’université de Paris-VII, chaque mois, des sessions d’information accueillent plusieurs dizaines de candidats au départ. «Nous leur conseillons d’abord
d’avoir un projet, puis d’aller passer leurs prochaines vacances à la campagne,
et plutôt en hiver, poursuit la présidente de Ville-Campagne, responsable de ce cycle. Pour beaucoup, ce changement de vie n’est pas
qu’un déménagement, il est souvent la solution à un profond mal-être.» Les ateliers tournent parfois à la thérapie de groupe et seul un cinquième des visiteurs finit par franchir le pas. «Il manque encore
sans doute un cadre d’accueil plus structuré, un agent de développement bien
identifié capable de savoir à qui appartiennent les logements vides, à qui
racheter de la terre, comment créer un marché locatif», explique Florence Gramond, directrice d’étude chez Ipsos.
Trouver
où habiter constitue souvent le premier obstacle et la hausse des prix
touche aujourd’hui des marchés dont on ignorait jusqu’à l’existence. La
valeur des terrains non bâtis a augmenté de 300% en trente ans, et
encore de plus de 25% entre 2001 (3389 euros l’hectare) et 2002
(4443 euros). «Moins elle est organisée, plus l’arrivée des "rurbains"
peut créer des perturbations dans l’économie locale, ajoute Vincent Piveteau. Que peuvent les jeunes du coin contre des
couples actifs et aisés qui viennent racheter de vieilles maisons au prix
fort?» Conseil immobilier «à la campagne»? Voilà un nouveau métier à
délocaliser.
Catherine Sabbah
(1) « Village Magazine » : 02-33-64-01-44 et www.village.tm.fr.
(2) Collectif Ville-Campagne:
05-55-70-47-00 et www.projetsencampagne.com.
Catherine Sabbah
Le Nouvel Observateur